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Abandonner l’économie du jetable: plutôt que de jeter les produits après leur usage, l’économie circulaire prône leur réemploi. Ce principe vaut également pour les matériaux de construction.

Abandonner l’économie du jetable: plutôt que de jeter les produits après leur usage, l’économie circulaire prône leur réemploi. Ce principe vaut également pour les matériaux de construction. Photo : Adobe Stock

Production et consommation

«Réparez au lieu de jeter!»

Walter Rudolf Stahel est un pionnier de l’économie circulaire. Ce fondateur de l’Institut de la Durée à Genève s’intéresse à l’économie durable depuis plusieurs décennies déjà. Il appelle les politiques et les entreprises à changer de cap.

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«Réparez au lieu de jeter!»

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Votre combat pour l’économie circulaire remonte aux années 1970. Êtes-vous satisfait de ce qui a été réalisé jusqu’à présent?

Walter Rudolf Stahel: Oui et non. Oui, dans la mesure où l’expression «économie circulaire» est entrée dans le langage courant. Non, car le message clé — à savoir, la préservation de la valeur du capital naturel, culturel, humain et manufacturé — est largement absent des débats politiques.

Ce que l’on connaît aujourd’hui sous le nom d’«économie circulaire» repose en grande partie sur les idées de Walter Rudolf Stahel. Ce Zurichois d’origine, né en 1946, a étudié l’architecture à l’ETH de Zurich avant de travailler à partir de 1984 comme conseiller économique et politique indépendant dans de nombreux pays européens, aux États-Unis et en Asie. Il a fondé et dirigé l’Institut de la Durée à Genève et conseillé la Commission européenne sur les questions de durabilité dans différentes fonctions. Depuis 2012, M. Stahel est membre du Club de Rome.

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Dans quel sens?

Stahel: Une économie en boucles, comme je l’appelle, vise à préserver la qualité et la valeur d’usage des infrastructures, des bâtiments et des biens pendant une période aussi longue que possible — en réemployant (reuse), en réparant et en remettant à neuf (remanufacture), tout en s’adaptant aux nouvelles exigences techniques et esthétiques (upgrading). Cela requiert des compétences et des personnes très différentes de celles qui forment l’économie «linéaire», où les biens sont produits, puis jetés après usage. L’économie circulaire repose sur des services à forte intensité de main-d’œuvre, fournis de manière décentralisée et en temps réel, à l’emplacement de la clientèle et des biens défectueux. Il n’y a donc pas de production de stock.

Comment imaginer concrètement cette «économie en boucles»?

Stahel: Il s’agit d’introduire le principe d’inertie dans la gestion des marchandises: des trajets aussi courts que possible et qui impliquent le moins de manipulation possible. L’ordre de priorité est le suivant: renoncer, réduire, réemployer et réparer. Toute personne qui utilise un bien est tenue de l’entretenir, de le faire réparer, puis de le céder ou de le vendre à un tiers lorsqu’elle n’en a plus usage – par exemple, avec les vêtements d’occasion. Plutôt que d’acheter des biens, optons pour le partage ou l’emprunt, comme avec les bibliothèques d’outils.

Pour les fabricants, l’économie circulaire augure un changement radical de modèle commercial. Au lieu de produire et de vendre des biens neufs toujours plus rapidement et à moindre coût, il s’agit de proposer des biens durables accompagnés de contrats de services pour l’exploitation, l’entretien et la reprise. Les fabricants peuvent également devenir des gestionnaires de flotte qui réparent leurs biens et, si nécessaire, les remanufacturent dans le but de conserver des produits intacts le plus longtemps possible et de réduire les coûts d’élimination. Pour ce faire, il faut concevoir en amont des produits qui se prêtent à une collecte sélective des matériaux.

Qui profite le plus de l’économie circulaire?

Stahel: Au final, les grands gagnants sont l’environnement et la société. On assiste à une réduction des émissions de carbone sur toute la chaîne d’approvisionnement, ainsi qu’à une réduction des besoins en matières premières, y compris en eau. Par ailleurs, les ateliers de réparation qui offrent des alternatives bon marché aux biens neufs sont aussi des vecteurs de création d’emplois.

«Les fabricants doivent comprendre qu’en travaillant dans une économie circulaire, ils ne gagnent pas leur argent au point de vente, mais dans l’utilisation des produits.»

Walter Rudolf Stahel

Que peuvent faire les pays industrialisés?

Stahel: Les pays industrialisés doivent réduire leur consommation de matériaux et d’énergie d’un facteur dix, c’est-à-dire de 90%. Ce n’est qu’ainsi qu’ils permettront aux habitants et habitantes des pays pauvres de satisfaire leurs besoins fondamentaux en matière de santé, d’éducation, de nourriture, de logement, de sécurité et de mobilité, sans augmenter la masse mondiale d’infrastructures et de biens.

La masse de biens fabriqués a déjà dépassé la biomasse en 2020. Si elle continue d’augmenter, la biodiversité et la biomasse de la planète diminueront inexorablement, entraînant des conséquences catastrophiques pour les êtres humains. La consommation mondiale d’énergie fossile et les émissions de carbone augmentent dans les mêmes proportions. En effet, selon l’OCDE et l’AIE, l’énergie fossile est subventionnée à hauteur de cinq mille milliards de dollars par an afin de réduire le coût de transport de l’économie de production mondiale et afin de compenser socialement les frais de chauffage et de véhicules.

Pour la Suisse, cette économie en boucles présente encore d’autres avantages: comme nous ne disposons d’aucune ressource, hormis l’électricité, notre dépendance aux importations diminuerait fortement, ce qui renforcerait notre résilience nationale.

Quel rôle jouent les aspects culturels dans l’économie circulaire?

Stahel: Ils influent grandement sur notre manière d’utiliser les ressources et de prévenir les déchets. Au niveau individuel, il faut opérer un changement de mentalité dans le sens d’une limitation des désirs et d’un renoncement. Les Japonais et les Japonaises sont leader en la matière. Leur concept de mottainai traduit le sentiment de regret pour le gaspillage des ressources et des biens dans la vie courante. Les politiques, aussi, doivent se mettre au diapason: plutôt que des slogans «net zéro» et «zéro consommation de ressources» qui n’ont qu’un succès limité, leur objectif affiché devrait être la préservation de la valeur et de l’usage des biens. Or, la planification financière à court terme néglige trop souvent les travaux d’entretien, ce qui nous expose sur le long terme à des dépenses ou à des risques considérables: pensez à l’effondrement d’un pont!

Quels sont les principaux obstacles dans la conversion des entreprises à l’économie circulaire?

Stahel: Les directives réglementaires qui soustendent la société industrielle entravent ce mode d’économie. Je pense notamment à l’impôt sur le travail plutôt que sur la consommation des ressources; à la taxe sur la valeur ajoutée, y compris sur les activités liées à l’économie circulaire; ou encore, aux indemnisations sur la valeur actuelle plutôt que réelle en cas de dommages relevant de la responsabilité civile.

L’enseignement de l’économie d’entreprise, que ce soit dans les entreprises ou les cabinets de conseil, n’est pas à jour. On oublie souvent que la remise à neuf (remanufacture) permet un retour sur investissement (RSI) cinq fois plus élevé que la fabrication des mêmes biens. De plus, l’économie ne dispose pas de règles de conformité adaptées.

Vous appelez les responsables d’entreprises à changer de mentalité?

Stahel: L’économie circulaire est disruptive. Les directions d’entreprise doivent renoncer au business as usual. Il faut qu’elles abandonnent la doctrine de baisse des coûts de fabrication à tout prix, au profit d’une optimisation sur l’ensemble du cycle de vie. Leur compétitivité en sortira renforcée grâce à des coûts d’utilisation réduits. Une conception modulaire avec des composants standardisés réduit les coûts et les risques liés à la maintenance des biens, les coûts de formation du personnel et les coûts de stockage des pièces de rechange, comme l’a démontré l’exemple d’Airbus, entre autres.

Quelles sont les innovations prometteuses dans ce contexte?

Stahel: Le textile est le nouveau plastique! La Suisse et l’Europe développent sans cesse de nouvelles technologies pour récupérer des fibres de toutes sortes, qu’il s’agisse de viscose, de laine ou de coton. L’entreprise Climatex, située à Altendorf dans le canton de Schwyz, a développé un procédé qui permet de séparer les tissus par type. Au lieu de contribuer au problème global des déchets à l’instar de 99% des textiles, les matériaux de Climatex réintègrent leur cycle de vie respectif et peuvent être réutilisés indéfiniment.

En termes de volume, le béton, l’asphalte et l’acier restent toutefois les principales ressources non renouvelables. Aujourd’hui, le Wirtgen Group, spécialiste en machines de construction, fraise l’asphalte des revêtements routiers et l’utilise pour de nouvelles couches de roulement. À l’avenir, il faudra absolument séparer les alliages d’acier par type pour leur recyclage: ce tri fait actuellement défaut.

Par un heureux hasard, des chercheurs et chercheuses de l’ETH de Zurich ont découvert un nouveau polymère capable de se recycler: le poly(phénylène méthylène) ou PPM. Ce plastique fluorescent protège les métaux de la corrosion, s’autorépare et indique les dommages de sa couche protectrice par luminescence.

Où en serons-nous dans dix ans en matière d’économie circulaire?

Stahel: Les directives au niveau de l’UE, telles que la loi européenne sur les matières premières critiques, les nouvelles exigences ESG, mais aussi les droits de douane punitifs sur les produits fabriqués et distribués mondialement ainsi que sur l’énergie et les matériaux, confèrent aux acteurs et actrices locaux de l’économie circulaire un avantage financier certain par rapport à la fabrication linéaire mondiale. Cette tendance continuera à s’accentuer.

À l’avenir, les entreprises développeront de plus en plus de solutions système plutôt que des produits. Les start-up lanceront de toutes nouvelles solutions sur le marché, comme la construction et l’exploitation de chambres froides par leasing dans les zones rurales de l’Inde par la fondation bâloise BASE. Globalement, la recherche dans le domaine de la science des matériaux circulaires ne fera que s’intensifier.

Cet article traite des SDG suivants

Les Objectifs de développement durable (ODD) sont 17 objectifs mondiaux de développement durable convenus par les États membres de l'ONU dans l'Agenda 2030. Ils couvrent des thèmes tels que la réduction de la pauvreté, la sécurité alimentaire, la santé, l'éducation, l'égalité des sexes, l'eau propre, les énergies renouvelables, la croissance économique durable, les infrastructures, la protection du climat et la protection des océans et de la biodiversité.

8 - Accès à des emplois décents
9 - Bâtir une infrastructure résiliente, promouvoir une industrialisation durable qui profite à tous et encourager l'innovation
12 - Consommation et production responsables

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