Au spa Six Senses de l’hôtel The Alpina, à Gstaad, bols tibétains, tapis de yoga et tables de massage ayurvédique côtoient des équipements hautement technologiques depuis l’été 2023. Inspiré du mode de vie de l’Américain Dave Asprey, auteur de The Bulletproof Diet et parmi les pionniers du biohacking – un concept visant à optimiser ses facultés physiques, émotionnelles et mentales pour prolonger sa longévité –, l’ancien directeur Tim Weiland pressentait que préserver son capital santé passerait aussi par les machines. Faisant partie des premiers journalistes invités à découvrir ce pendant futuriste du spa, nous avions à l’époque passé trois minutes dans une cabine de cryothérapie, puis chaussé des bottes de compression pour dynamiser notre état général, avant un massage énergétique traditionnel.
«Avec l’essor du mouvement mondial du bien-être, et encore plus après le covid, les hôtels de luxe ont commencé à intégrer des thérapies avancées sur le modèle des cliniques privées, comme la Clinique La Prairie, en Suisse, pour répondre à la demande croissante des voyageurs soucieux de leur santé, en quête d’expériences plus complètes que les spas traditionnels», confirme Valentina Clergue, professeure assistante à l’EHL Hospitality Business School, à Lausanne.
A la tête des programmes wellness des spas Six Senses pour le monde entier, Anna Bjurstam a fait du biohacking une priorité, convaincue que «l’espérance de vie est le nouveau mot à la mode en matière de bien-être». La prise en charge démarre toujours par une analyse de l’état de santé à l’aide d’un appareil captant une quarantaine de données, telles que la fréquence cardiaque, la pression artérielle, la qualité du sommeil, l’activité physique ou encore le niveau de stress. A cela s’ajoute le passage sur une balance d’impédancemétrie à même de mesurer la masse musculaire ou la quantité de graisse. «Comme le font les hackers informatiques qui pénètrent dans des systèmes auxquels ils n’ont normalement pas accès, le biohacking vise à prendre le contrôle de notre organisme en apportant des changements intentionnels à notre corps et à notre mode de vie pour maximiser notre espérance de vie en bonne santé», explique Balazs Csanak, un ancien informaticien reconverti dans le bien-être au Six Senses de Crans-Montana.
Dans ce palace de la station valaisanne, l’espace dit de «récupération» comprend des panneaux de photobiomodulation, des plateformes vibrantes, de la thérapie par champs électromagnétiques pulsés, des masques pour les yeux à vibrations relaxantes, des casques d’écoute audio de sons binauraux ou encore une machine d’entraînement hypoxique-hyperoxique intermittent. «Le but est d’obtenir, en un minimum de temps et avec le minimum d’efforts, le plus d’effets positifs possible. Les clients réservent la salle pour trente minutes ou une heure et passent d’une machine à l’autre en fonction des priorités, tels que la récupération musculaire ou la relaxation profonde», détaille le thérapeute.
Un bilan de santé sérieux
Certaines adresses proposent une combinaison d’accompagnement médical et de programme bien-être, comme le Grand Resort Bad Ragaz ou le Chenot Palace Weggis. C’est justement le pas que souhaite désormais franchir le groupe Michel Reybier dans ses hôtels. A commencer par La Réserve Genève, en s’entourant de l’expertise de la clinique Nescens, haut lieu de médecine fonctionnelle, régénérative et préventive appartenant au groupe Aevis Victoria, qui compte également Swiss Medical Network, dont Michel Reybier est actionnaire majoritaire avec Antoine Hubert. Depuis 2020, Nescens propose une cure de cinq jours baptisée «Reset» sur le campus médical de Genolier. L’idée est de transposer cette dernière dans les murs de La Réserve Genève, dès cet été, pour convenir à une clientèle plus friande d’une hospitalité luxueuse.
«Cette décision découle aussi de l’évolution de la patientèle: aux curieux sexagénaires qui venaient en curatif, ayant déjà des comorbidités, s’ajoutent depuis deux ans des personnes dès 45 ans qui veulent se projeter dans les prochaines décennies au top de leur forme», analyse Caroline Siri, directrice de la marque Nescens. Le grand avantage de la cure «Reset» est le sérieux du bilan de santé qui marque la première matinée: prise de sang, bilan sportif de capacité cardiovasculaire, test de mobilité avec un ostéopathe, analyse des habitudes alimentaires avec une nutritionniste, évaluation du mode de vie avec la doctoresse spécialiste en médecine intégrative, analyse des activités cognitives et gestion émotionnelle grâce au neurofeedback. L’équipe pluridisciplinaire met ensuite en place le programme de la semaine en conséquence.
«Grâce à nos ressources médicales, 85% des résultats du test sanguin sont connus dans la journée, ce qui permet de déceler d’éventuelles anomalies et d’agir en conséquence», précise Caroline Siri. Pour elle, il n’y a rien de magique, c’est la répétition qui fait réagir l’organisme. Les curistes expérimentent ainsi plusieurs traitements, du caisson hyperbare au sauna infrarouge, en passant par le bain en eau glacée ou du coaching respiratoire, dans la semaine, tout en bénéficiant de menus gastronomiques élaborés sur mesure. Ils reçoivent à terme un rapport complet, avec des suggestions à intégrer dans leur routine de vie. Selon la directrice de la cure, beaucoup d’entre eux réitèrent l’expérience chaque année ou tous les cinq ans, au même titre qu’ils vont chez leur médecin généraliste.
Qu’en est-il des éventuelles limites du biohacking hôtelier? Selon la professeure de l’EHL, l’un des principaux défis réside dans l’investissement important en équipements spécialisés et le recrutement de professionnels formés pour réaliser les thérapies et interpréter les résultats, d’où l’intérêt de partenariat avec des cliniques existantes comme c’est le cas des hôtels Michel Reybier et Nescens. Il peut aussi y avoir des préoccupations légitimes quant à la confidentialité et à la transparence des données, notamment lors de leur collecte. Une communication claire et l’instauration d’un climat de confiance s’avèrent donc essentielles pour que l’offre se généralise.
«On peut s’attendre à une montée en puissance des modèles d’hôtellerie hybrides: retraites de longévité, cliniques de bien-être et complexes hôteliers à la pointe de la technologie, en phase avec l’évolution du «choyage» vers la performance, ce qui redéfinit les attentes des voyageurs haut de gamme en matière d’expériences bien-être», analyse Nicola Gryczka Kirsch, entrepreneure en résidence à l’EHL, coautrice d’un rapport sur les tendances en matière de bien-être dans l’hospitalité publié cette année par l’établissement. Avec le bon équipement et le bon panel d’experts, les hôtels peuvent prétendre accompagner leur clientèle dans ses nouvelles aspirations d’esprit jeune dans un corps jeune. L’entretien de la santé devenant un art de vivre comme un autre.