Un quart de nos émissions pourraient être effacées
«Notre idée n’est pas d’entrer en compétition avec les usages durables du bois, insiste Ning Zeng. Mais il en existe des quantités considérables qui ne sont pas utilisées, et qui rendront progressivement leur carbone à l’atmosphère si on ne fait rien. Notre projet est d’enfouir cette matière-là. Par exemple, les arbres morts mais non consumés par les incendies spectaculaires du Canada cet été, vont finir par tomber et pourrir. Dans le sous-sol, ils éviteraient beaucoup d’émissions de CO2.»
Venons-en aux chiffres. Un mètre cube de bois protégé de la décomposition, ou enfoui dans les conditions prônées par les défenseurs de cette idée, évite en moyenne le rejet d’une tonne de dioxyde de carbone. Ning Zeng calcule ainsi qu’on pourrait ensevelir chaque année pas moins de 10 milliards de mètres cubes de bois non utilisés, et ainsi effacer dix gigatonnes de CO2, soit 27% de nos émissions actuelles.
Le tout, estime ce groupe, avec un coût d’enfouissement compris entre 30 et 100 dollars la tonne équivalent CO2. Bien loin des quelque 1000 dollars la tonne pour la capture directe de CO2 dans l’atmosphère, proposée par une poignée de start-up dont la suisse Climeworks avec son usine en Islande.
Si les chiffres avancés dans Science ont de quoi séduire des politiques peu enclins à légiférer pour freiner nos émissions de gaz à effet de serre, une question essentielle surgit. Si nous devions créer des millions de réservoirs souterrains de bois dans les régions au sous-sol approprié – il y en a dans tous les continents, à l’exclusion de l’Antarctique –, quel serait l’impact sur la biodiversité et l’activité des organismes qui vivent dans le sol?
«Nous y avons réfléchi avec l’agronome dans notre équipe, justifie Ning Zeng. Les conséquences seraient très limitées. Un hectare suffit pour enfouir le bois mort collecté sur une superficie mille fois plus grande.» Le chercheur convient néanmoins que le sujet devra être approfondi.
Une source de revenus, notamment dans les régions tropicales
Que deviendraient les sols ainsi utilisés pour enfouir les arbres? «Notre idée est de remettre les différentes couches de terre extraites comme elles étaient avant, pour perturber le moins possible la biodiversité. Cela pourrait permettre de réhabiliter des régions qui ont été dévastées par la déforestation, comme le million d’hectares d’arbres qui ont disparu d’Amazonie depuis cinquante ans. Les sols peu productifs des régions tropicales sont parfaitement adaptés à l’enfouissement, ce serait une manière de fournir un revenu aux populations concernées.»
Ning Zeng l’a vérifié cet été, en prélevant de la terre au Brésil. «Ces échantillons sont encore plus imperméables que les argiles de Montréal. Après que l’Occident a exploité le Sud global, puis impose une sorte de colonialisme climatique en demandant à ces pays de préserver leurs forêts, ce serait un juste retour des choses si les populations du sud pouvaient tirer profit de l’enfouissement d’arbres morts.»
Bien évidemment, une telle méthode de géo-ingénierie du climat suppose un cadre légal très strict, vraisemblablement négocié au niveau de la convention de l’ONU sur le climat (UNFCC). «Il faudra s’assurer que le bois ne sera pas extrait pendant une longue période, par exemple un millier d’années, le temps que la crise climatique soit derrière nous. Dans un avenir lointain, notre climat finira par replonger dans un âge glaciaire. Ce sera le moment de ressortir ce bois et de le brûler pour freiner le refroidissement, sourit Ning Zeng. Mais là, c’est de la science-fiction!»