La chercheuse est codirectrice du projet inédit lancé cette année dans le bois de Finges par l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage WSL. Intitulée «VPDrought», l’expérience vise pour la première fois à manipuler la sécheresse non seulement du sol mais aussi de l’air dans une forêt naturelle mature. L’analyse de très nombreux paramètres permettra de décrypter les rôles de ces deux facteurs sur la santé des pins, à l’échelle de la cellule et de l’écosystème.
«La réponse des arbres à un manque d’eau dans le sol a déjà été bien étudiée. L’idée est de mieux comprendre maintenant l’impact de la sécheresse atmosphérique, précise Charlotte Grossiord. La sécheresse du sol est de plus en plus souvent combinée à une sécheresse dans l’air avec l’augmentation des températures. Il s’agit d’un nouveau type de sécheresse. Et il existe peu d’études en milieu naturel qui manipulent les deux, séparément ou de manière combinée.»
Effet de l’air «assoiffé»
Cette nouvelle catégorie de sécheresse est associée à un mécanisme appelé VPB (vapor pressure deficit en anglais) ou demande évaporative, qui décrit à quel point l’air a «soif». «C’est comme si on comparait un désert et une forêt tropicale. Si on met un verre d’eau dans un désert, où l’air est très sec, il va se vider plus vite que s’il est dans une forêt tropicale, très humide.» Le VPD est déterminant pour la quantité d’eau que les arbres évaporent par leur feuillage. Plus la température de l’air est élevée, plus le VPD augmente aussi et donc prélève de l’eau de la végétation. Dans l’expérience VPDrought, les scientifiques miment les variations de demande évaporative en manipulant la sécheresse de l’air ressentie par les plantes.
Concrètement, le site d’étude dans le bois de Finges est ponctué d’échafaudages. A leur sommet, des buses émettent une vapeur de très fines gouttelettes d’eau dans l’environnement de certains arbres, au niveau de la canopée. Les parcelles étudiées ont été réparties en plusieurs catégories. Des arbres ne subissent aucune modification de leur climat, d’autres une seule – les sols sont soit irrigués, soit protégés en partie des précipitations, ou alors les plantes sont soumises à un air plus humide – et les derniers groupes combinent manipulations du sol et de l’air.
Les brumisateurs – qui correspondent à une aspersion de 200 litres par heure sur le terrain d’étude – permettent de diminuer de 20 à 30% la demande évaporative sur les parcelles concernées. «Comme on ne peut pas retirer de l’eau de l’air, nous faisons l’inverse, nous en ajoutons à certains endroits pour obtenir un gradient avec les groupes contrôles, explique Charlotte Grossiord. Puis nous pourrons extrapoler les effets observés à des conditions de sécheresse plus importantes. On s’attend à ce qu’avec la combinaison air sec et sol sec, le dépérissement soit accéléré, c’est-à-dire que le stress de l’air sec soit aussi important que le stress de la sécheresse du sol.»
Des arbres bardés de capteurs
Pour mesurer l’impact de ces conditions climatiques sur les arbres, ces derniers sont bardés de capteurs. Des boîtiers sont collés à leurs troncs d’où sortent des câbles et des tuyaux. Parmi ces instruments, des dendromètres suivent la croissance des arbres en mesurant au micromètre près les variations de la circonférence du tronc. «Un arbre grandit au fil des saisons. Mais il y a aussi des variations plus fines. Chaque jour, le tronc rétrécit à cause de la perte d’eau due à l’évaporation par les feuilles, puis il revient normalement au niveau basal la nuit en récupérant de l’eau par les racines, explique Roman Zweifel, écophysiologiste au WSL. Nous nous demandons si un arbre est capable d’accumuler les rétrécissements de la journée, c’est-à-dire les déficits en eau, sans retour basal, sur une période prolongée.»