Le mini-laboratoire permet le séquençage de l'ADN environnemental (ADNe), ces traces de matériel génétique que chaque espèce vivante rejette dans l'environnement et qui sont présentes partout: dans l'eau, dans l'air, dans le sol, sur les branches des arbres et sur l'écran de l'appareil sur lequel vous lisez cet article. L'analyse de l'ADNe est un domaine de recherche en pleine expansion, qui a ouvert la voie à des possibilités encore inimaginables il y a quelques années, lorsque, pour répertorier les espèces présentes dans un lieu donné, on n'avait d'autre choix que d'envoyer des personnes capables de les reconnaître directement sur le terrain.
Aujourd'hui, on peut extraire plus d'informations d'une éprouvette d'eau ou d'une bande collante passée entre les branches d'un arbre qu'une armée de biologistes campant dans la jungle pendant des jours ne pourrait en fournir.
La pandémie a donné naissance à de nouvelles solutions
Depuis dix ans, Kristy Deiner travaille au développement de méthodes et d'instruments toujours plus performants pour l'analyse de l'ADNe. Le mini-laboratoire installé à côté de l'étang en est le résultat. Il permet de séquencer le matériel génétique en quelques heures, directement dans la zone où il a été collecté. Il n'est donc pas nécessaire d'envoyer les échantillons ailleurs, ce qui réduit le risque de contamination par du matériel génétique non présent dans la zone étudiée.
«Le développement a été accéléré par la pandémie de Covid-19, car des sortes de laboratoires «pop-up» pour détecter le virus sont apparus un peu partout. Il y a eu beaucoup d'innovations au cours des quatre dernières années pour rendre l'instrumentation moins chère et plus accessible, mais aussi pour réfléchir à la manière d'effectuer l'analyse dans des endroits où les ressources, telles que l'énergie, sont limitées», explique-t-elle.
Le mini-laboratoire testé au zoo est une synthèse de ces innovations que l'EPFZ a orientées vers l'étude de la biodiversité. Reste cependant le problème de la collecte des échantillons. Et c'est là que la robotique entre en jeu.
Des drones et des sondes pour capturer l'ADNe
La génétique et la robotique sont deux domaines rarement en contact l'un avec l'autre. Pourtant, lorsque le professeur de robotique Stefano Mintchev a entendu parler d'un concours organisé par la fondation XPRIZE, une organisation américaine à but non lucratif créée pour encourager les innovations technologiques, il a immédiatement contacté sa collègue Kristy Deiner. Ensemble, ils ont formé l'équipe ETH biodivx, qu'ils ont inscrite au concours en 2021. Les équipes de recherche participantes devront identifier le plus grand nombre d'espèces possible en un minimum de temps.
Kristy Deiner savait comment analyser l'ADN environnemental, tandis que Stefano Mintchev avait les compétences nécessaires pour aller collecter des échantillons. En vue de la compétition, l'équipe de recherche de l'expert en robotique a modifié les drones en y installant des dispositifs qui filtrent l'ADNe de l'air et une poulie à laquelle il est possible de fixer soit une pompe à eau, soit une sonde spéciale.
Cette dernière descend dans le feuillage et, en frôlant les plantes, elle retient le matériel génétique déposé sur les feuilles et les branches que le drone ramène au mini-laboratoire.
Si l'idée est simple, la mise en pratique ne l'est pas. «Nous avons dû beaucoup travailler pour optimiser la conception de la sonde et l'algorithme de contrôle qui la déplace, afin de réduire le risque qu'elle se coince», explique Stefano Mintchev. Grâce à des capteurs qui mesurent la tension du câble, il est possible de déclencher des mouvements qui la libèrent et, si cela n'est pas possible, un mécanisme permet de séparer le câble du drone.
Ce travail devait être réalisé avant les demi-finales de la compétition, qui se sont tenues à Singapour début juin dans une zone de 100 hectares de forêt tropicale. Si l'équipe passe cette étape (les résultats sont attendus fin juillet), elle participera à la finale qui aura lieu en 2024 en Amérique du Sud ou en Afrique. Au total, 10 millions de dollars sont en jeu (5 millions de dollars iront à celui qui montera sur la plus haute marche du podium).
Pour se préparer au mieux, il a donc fallu effectuer des tests sur de la végétation tropicale, ce qui est pour le moins difficile à trouver dans les forêts suisses. Heureusement, il y a aussi une forêt tropicale en Suisse et elle se trouve à Zurich: la halle Masoala du zoo de la ville. Outre les lémuriens, une quarantaine d'espèces animales et 500 espèces végétales vivent dans cette grande halle.
«La recherche est l'une des tâches des zoos modernes. Une partie de cette tâche consiste à coopérer avec les écoles polytechniques et les universités», explique Leyla Davis, responsable de la recherche au zoo de Zurich. Chaque vertébré présent dans la halle Masoala est catalogué, explique cette dernière, ce qui a permis à l'équipe de recherche de Stefano Mintchev et Kristy Deiner de vérifier presque en temps réel si l'ADN collecté correspondait bien aux espèces présentes dans la halle.
Des millions d'espèces à décrire
Indépendamment du succès du concours XPRIZE, des solutions telles que celle développée par l'équipe de l'EPFZ promettent de s'avérer utiles dans de nombreux domaines. Par exemple dans l'agriculture, pour détecter rapidement la présence de maladies et de parasites nuisibles.
«Ce qui me plaît dans l'utilisation des drones, c'est qu'ils permettent d'accéder à des zones trop denses, trop éloignées ou trop dangereuses pour être atteintes d'une autre manière», commente Elizabeth Clare, biologiste à la York University de Toronto, spécialisée dans l'étude de l'ADNe. «Ils seront également très utiles pour comprendre comment le matériel génétique se déplace et se stratifie dans l'air». Selon Elizabeth Clare, le plus grand défi consistera toutefois à automatiser ces technologies afin qu'elles puissent être utilisées à l'échelle industrielle. «Des compétences très spécifiques sont encore nécessaires pour faire fonctionner les drones», souligne-t-elle.
Pendant ce temps, l'équipe de l'EPFZ goûte au plaisir de la découverte. Dans l'environnement naturel se trouve souvent une séquence génétique à laquelle on ne peut pas donner de nom. Lorsque l'on constate, grâce à l'analyse de l'ADNe, que la même séquence apparaît à d'autres endroits ou de manière répétée, on peut imaginer qu'il s'agit d'une espèce encore inconnue de la science.
On estime qu'il existe plus de huit millions d'espèces sur Terre (dont environ un quart est actuellement répertorié), mais il ne s'agit que d'une extrapolation basée sur la vitesse à laquelle la science les a découvertes dans le passé. «Nous disposons désormais d'une méthode qui nous permettra de vérifier si cela est vrai. C'est une nouvelle étape dans l'exploration de notre monde», déclare Kristy Deiner en souriant. «Cela me fait penser aux explorateurs qui, il y a des siècles, ont découvert de nouvelles terres à bord de leurs navires. Aujourd'hui, nous disposons d'un nouveau type de navire pour voyager.»