Le fromage est «un produit vivant»
La température annuelle moyenne de la Suisse a augmenté de 2,8 °C depuis l’ère préindustrielle, le double de la moyenne internationale. Cela peut-il se répercuter sur la qualité des gruyères, Etivaz, vacherins et autres fleurons caséinés du patrimoine culinaire suisse?
«Cette question est complexe car l’arôme, le goût et la texture du fromage dépendent de nombreux facteurs, tous susceptibles d’être influencés par la température: l’herbage et la biodiversité végétale, le stress thermique des animaux, l’atmosphère des caves d’alpage, et enfin le développement des micro-organismes», explique Pascal Fuchsmann, chimiste au sein de l’Agroscope. Et le chercheur de rappeler que cet aliment est «un produit vivant, voué à ne pas être constant».
«Pour tous les produits saisonniers et d’estivage, comme le gruyère d’alpage, le facteur climatique est très important», abonde Eric Mosimann, gérant de la Société vaudoise d’économie alpestre, qui représente l’intérêt des quelque 600 alpages du canton. Si le réchauffement climatique l’inquiète? «Très clairement oui, pour les zones les plus sensibles, comme le Jura vaudois.»
La Suisse s’enorgueillit d’exporter dans le monde entier les meilleurs produits d’alpage au monde – gruyère, Etivaz et vacherin, pour n’en citer que quelques-uns. Des poids lourds souvent protégés par des Appellations d’origine protégée (AOP), qui n’en restent pas moins de grands fragiles en matière de climat, par rapport aux produits industriels.
Un impact sur la quantité et la qualité du lait
La matière principale des Alpkäse, Hobelkäse, Sbrinz et autres délices caséinés est identique: de l’herbe, transformée par une véritable usine biologique, la vache. Ainsi, «des molécules propres à la flore locale se retrouvent dans le produit final, signale Pascal Fuchsmann. Les meules d’alpage arborent des tons plus orangés que leurs équivalents de plaine, en raison des bêtacarotènes contenus dans les fleurs.»
Or, la répartition des espèces végétales et leur disponibilité vont évoluer ces prochaines années. «Les fromages seront, à l'avenir, peut-être moins colorés et avec une texture plus dure, s’il y a un manque d’eau dans le milieu.» Mais de l’avis du chercheur, l’impact tiendra moins de l’ordre de la qualité que de la quantité, en raison de la baisse de production de lait liée au stress thermique des vaches.
Christophe Chassard, qui dirige dans l’Institut français de recherche Inrae une unité de recherche fromagère, est bien moins catégorique: «Les recherches sur les conséquences climatiques sur la qualité des fromages sont encore balbutiantes. Nous collectons de premières données où l’on observe des changements dans les ratios de caséines (principale protéine du lait). Ainsi, l’impact serait quantitatif, mais aussi qualitatif.»
Une prochaine étude en Suisse
En Suisse, l’Agroscope prévoit une démarche similaire. «Nous travaillons sur un avant-projet qui traite de l’influence du changement climatique sur une variété de fromage, indique Remo Schmidt, de la station d’essais Agriculture de montagne et d’alpage. Nous prévoyons en outre d’intégrer des données sur la biodiversité végétale des alpages et son impact sur des fromages bernois», déjà à l’étude.