Si nous ne parvenons pas à sortir rapidement des combustibles fossiles, les risques pour l’homme et la nature continueront d’augmenter rapidement. Actuellement, nous avons dépassé la barre des 1,1°C en matière d’augmentation des température, c’est pourquoi nous en ressen-tons déjà les conséquences. Les chaleurs extrêmes, qui se produiraient tous les 10 ans dans un monde où nous n’aurions pas d’influence sur le climat, sont déjà trois fois plus fréquents au-jourd’hui. Avec un réchauffement global de 1,5°C, ils se produiraient quatre fois plus souvent, et avec un réchauffement global de 2°C ils seraient même six fois plus fréquents. L’être humain n’est pas fait pour cette énorme chaleur. Aujourd’hui, déjà, un tiers des décès dus à la chaleur en Suisse sont imputables au réchauffement climatique.
Pourquoi l’abandon des combustibles fossiles est-il d’une importance si capitale?
Les émissions actuelles de CO2 sont dues pour 85 à 90 % à la combustion de pétrole, de gaz naturel et de charbon. Tandis que les émissions mondiales de CO2 étaient encore de quatre gigatonnes en 1880, nous en sommes aujourd’hui à près de quarante gigatonnes. Le supplé-mentaire dans l’atmosphère persiste pendant des centaines ou des milliers d’années, et chaque tonne supplémentaire émise entraîne donc un accroissement du réchauffement de la planète. C’est pourquoi un abandon immédiat ou au moins une période de transition rapide sont néces-saires.
À quoi ressemblerait le monde en 2050 si nous n’agissons pas maintenant?
La première étape importante pour stabiliser le réchauffement climatique à 1,5°C est de ré-duire au moins de moitié les émissions de CO2 d’ici 2030. Si les émissions continuent d’augmenter, le réchauffement global atteindrait 2,4°C en 2050. Les conséquences seraient désastreuses. Les épisodes de grande chaleur deviendraient la norme et se produiraient en moyenne tous les deux ans. De fortes précipitations auraient lieu tous les cinq ans. Il y aurait de la sécheresse également dans de nombreuses régions, y compris en Europe centrale occiden-tale. Tout cela mettrait en péril la sécurité alimentaire mondiale.
Ce qui m’inquiète le plus, c’est l’accumulation des phénomènes météorologiques extrêmes. Les vagues de chaleur, les fortes précipitations, les inondations, la sécheresse, la fonte des glaciers, le dégel du permafrost, les glissements de terrain, tout cela se produirait plus souvent à l’avenir. Nous serions donc presque constamment en mode de crise. Et ce, dans le monde en-tier.
À partir de quand ces crises pourraient-elles devenir quotidiennes?
Nous pourrions bientôt assister à un tel scénario: La vague de chaleur en Inde, la sécheresse actuelle en France et en Allemagne et la guerre en Ukraine pourraient éventuellement entraî-ner des pénuries alimentaires cet été. Pourtant, cette année, le climat n’influence qu’une partie du problème, mais avec l’accroissement du réchauffement climatique, cette influence devient de plus en plus importante.
Lors de la crise de Covid-19, nous avons vu qu’une pénurie de masques suffisait à ce que les pays restreignent leurs échanges commerciaux. En Suisse, nous avons souvent l’illusion d’être en sécurité parce que nous sommes un pays riche. En cas de pénurie alimentaire, cela ne nous servirait à rien dans le pire des cas. Nous sommes fortement dépendants des chaînes d’approvisionnement et donc des conditions climatiques dans d’autres pays.
«Ce qui m’inquiète le plus, c’est l’accumulation des phénomènes météorologiques ex-trêmes.»
Devons-nous nous préparer à l’autarcie?
Non, cela ne serait pas possible en Suisse, le pays est trop petit. En raison des régions monta-gneuses, nous n’avons pas non plus assez de surface pour nourrir tout le monde. Nous préfé-rons de loin veiller à entretenir de bonnes relations avec nos voisins et nous engager pour que le réchauffement climatique puisse être stabilisé à environ 1,5°C à l’échelle mondiale.
Que pensez-vous des mesures qui neutralisent le CO2 – par exemple le reboisement ou les technologies de capture directe de l’air, qui filtrent littéralement l’air?
Planter des arbres ne suffira pas à atteindre le zéro net. En outre, le reboisement est une chose. Il n’est pas possible de reboiser des surfaces n’importe où, il y a souvent un manque de transparence. Les arbres mettent beaucoup de temps à pousser. Nous devons réduire de moitié nos émissions de CO2 d’ici 2030, ce qui n’est pas possible. Le risque d’incendie augmente en outre avec le réchauffement. Les projets de reforestation doivent donc être bien pensés et ne doivent pas servir uniquement à obtenir des certificats d’écoblanchiment. Les technologies de capture directe de l’air aident certainement, mais elles n’ont pu être que très peu utilisées jusqu’à présent. Leur volume devrait être fortement augmenté. Climeworks, une spin-off de l’EPF, est à cet égard une start-up prometteuse qui a récemment levé 600 millions lors d’un tour de financement pour pouvoir construire de nouvelles grandes installations. Mais même dans le meilleur des cas, les quantités de CO2 ainsi absorbées et stockées ne représenteront qu’une petite partie, 10 % au maximum, des émissions actuelles. Cela doit servir en premier lieu à compenser les émissions difficilement évitables, par exemple dans le cas de l’incinération des déchets, d’une partie de l’industrie du ciment, et des vols qui ne peuvent pas être évités. Il est donc bien plus important de réduire massivement la part des énergies fos-siles, notamment pour le chauffage et les transports.
Les responsables politiques devraient-ils adopter des lois plus strictes afin d’accélérer l’abandon des combustibles fossiles?
Il est clair que nous ne sommes pas sur la bonne voie en ce moment. Comme je suis climato-logue et non politicienne, je juge cette question en tant que citoyenne. Il est passionnant d’observer que les lois qui ont du succès sont souvent basées sur des interdictions. En effet, tout le monde est alors concerné de la même manière. Si la loi sur le CO2 a été rejetée, c’est notamment parce que beaucoup pensaient qu’elle était injuste et trop coûteuse pour les parti-culiers. En réalité, la plupart des gens en Suisse en auraient plutôt profité au final.
Un exemple intéressant du canton de Glaris montre toutefois que la population est tout à fait prête pour le changement. Lors de l’assemblée nationale de septembre dernier, l’interdiction complète du chauffage au mazout ou au gaz a été votée, tant pour les nouvelles constructions que pour les rénovations. Un jeune homme du nom de Kaj Weibel a pris la parole lors de l’assemblée et a convaincu les personnes présentes. Et ce, bien que 60 % des Glaronnaises et des Glaronnais aient voté contre la loi sur le CO2, qui était beaucoup moins stricte.
Êtes-vous donc confiante quant à l’acceptation de l’initiative sur les glaciers?
Il s’agit de garantir l’abandon des combustibles fossiles d’ici 2050, une très bonne initiative. En outre, elle exige au moins une trajectoire d’abaissement linéaire, ce qui signi