"Certaines entreprises cotées en bourse pensent trop à court terme"
Le changement climatique n'est pas seulement un défi écologique, mais aussi un défi économique. Patrick Dupoux, président du conseil d'administration de Quantis et Senior Partner au BCG, et Allon Zeitoun, CEO de Quantis, expliquent dans un entretien quelles opportunités s'offrent à eux - et pourquoi les entreprises suisses sont particulièrement bien placées.
Qu'est-ce qui vous a le plus surpris dans votre étude "Adaptation & Resilience of Companies in the Face of Climate Change"?
Patrick Dupoux: L'ampleur de l'impact économique du changement climatique dès aujourd'hui ! Dans une étude précédente avec le Forum économique mondial, nous avons montré que les catastrophes liées au climat ont causé des dommages de plus de 3,6 billions de dollars américains au cours des 25 dernières années. Si nous n'agissons pas, le PIB mondial pourrait chuter de 20 % d'ici la fin du siècle. Dans le même temps, nous constatons qu'il suffit d'investir de manière ciblée 2 % du PIB mondial pour éviter les pertes les plus importantes. Pour cela, il faut à la fois des mesures de réduction ("mitigation") et des adaptations concrètes ("adaptation").
Allon Zeitoun: Je suis étonné de voir à quel point les entreprises réagissent différemment face aux risques, même au sein d'un même secteur. Certaines agissent de manière très prévoyante, analysent l'ensemble de leurs chaînes de création de valeur et ne se contentent pas de réduire les émissions, mais se diversifient aussi activement. D'autres se limitent à des plans d'urgence - comme il y a dix ans.
Pourquoi seuls quelques modèles d'entreprise prennent-ils en compte le changement climatique?
Dupoux: Il y a plusieurs raisons à cela. Certains CEO d'entreprises cotées en bourse ont une vision à plus court terme que ceux des entreprises familiales par exemple. Les investissements durables préviennent les dommages futurs, mais ne génèrent pas de rendement immédiat - la pression pour se justifier est plus forte. De plus, le cadre réglementaire - par exemple la directive européenne CSRD sur les rapports de durabilité - est en train de changer. Il est particulièrement difficile de mesurer les émissions de portée 3 le long de la chaîne d'approvisionnement.
Y a-t-il des secteurs qui sous-estiment les risques climatiques?
Zeitoun: Tous les secteurs sous-estiment les risques, mais certains sont plus avancés. Les assurances analysent déjà les risques climatiques de manière très approfondie. Les entreprises de télécommunications font également preuve de clairvoyance, car leurs infrastructures sont particulièrement vulnérables. En revanche, l'industrie alimentaire n'en est qu'à ses débuts - même si elle sera probablement la plus touchée.
Dupoux: C'est justement dans ce domaine que des technologies comme l'intelligence artificielle peuvent faire la différence - par exemple grâce à des modèles climatiques plus précis ou à des prévisions de récolte optimisées.
Les changements réglementaires représentent également un risque. Les PME sont-elles particulièrement touchées par ces changements?
Dupoux: Je pense que la législation environnementale est indispensable, mais je vois deux pièges. Une réglementation trop stricte en Europe délocalise la production vers des pays sans contraintes climatiques. Et les changements constants surchargent les PME. Elles ont besoin de sécurité en matière de planification.
Quel est votre principal conseil aux entreprises suisses?
Zeitoun: La Suisse a une culture du risque très marquée et une grande force d'innovation - les meilleures conditions pour développer des solutions résilientes au climat. Il s'agit maintenant d'exploiter ces atouts de manière ciblée.