Les zigzags de la transformation

Depuis quand l’histoire est-elle linéaire? Comme le savent très bien les historiens et historiennes, il n’en a jamais été ainsi. Et pourtant, nous appliquons cette lec- ture simpliste à la durabilité qui progres- serait de manière constante, sans retours en arrière ni détours. Nous voulons le changement, mais sans heurts. La dura- bilité doit sauver le monde, mais sans perturber notre quotidien. Celles et ceux qui croient que la transition écologique s’accomplira sans oeufs cassés mécon- naissent l’histoire des bouleversements sociaux. Car même si la transformation passe par la technique, elle reste avant tout un processus d’adaptation sociale. Or, celle-ci exige des innovations so- ciales et des débats qui ne se déroulent pas toujours de manière harmonieuse.

De fausses attentes

Le désenchantement actuel face à une situation internationale confuse n’est donc pas le fruit du hasard, mais la conséquence d’attentes et d’hypothèses erronées.

Tout d’abord, les sociétés sont des systèmes complexes. Leur transforma- tion passe par des processus lents et multifactoriels, surtout dans une société hautement spécialisée comme la nôtre. En prendre conscience, c’est déjà un pas décisif dans la bonne direction.

Deuxièmement, les sociétés démo- cratiques reposent sur la confrontation. Qui définit ce qu’est la «bonne» trans- formation en matière de durabilité? La référence à la science ne suffit pas. Si les sciences (naturelles) peuvent fixer des objectifs, par exemple le zéro net, le che- min à suivre pour les atteindre dépendra entièrement d’un débat démocratique certes épuisant, mais nécessaire.

Troisièmement, les comportements humains obéissent rarement à des im- pératifs entièrement rationnels. Ainsi, les bonnes connaissances ne conduisent pas mécaniquement aux bonnes actions. La connaissance est nécessaire en pré- ambule à l’action, mais les nouvelles in- frastructures et les expériences person- nelles s’avèrent tout aussi déterminantes.

Qu’est-ce que cela signifie pour les reculs supposés ou réels en matière de politique de durabilité?

Premièrement, la transition écolo- gique doit être pensée de manière glo- bale. Chaque adaptation locale ou per- sonnelle fait partie d’un ensemble plus vaste; chaque petit projet contribue au tableau général.

Deuxièmement, la culture démocra- tique du débat n’est pas un «choc des cultures», mais l’expression d’une démo- cratie saine. Cette expression galvaudée occulte le fait que la démocratie se nour- rit de débats sur la base de faits établis. On ne peut parler du réchauffement cli- matique que si son existence est recon- nue. Et contrairement à ce que laissent entendre certains titres de journaux, c’est bien le cas: en Suisse, 70 à 80% de la population considère la crise clima- tique comme une menace sérieuse.

Troisièmement, le changement prend du temps, car l’être humain est un ani- mal routinier. Tout changement implique de l’entraînement et une intégration so- ciale — dans le cercle d’amis, dans le quartier, dans le voisinage.

L’exemple de la politique des transports illustre ce point. Ainsi, de nombreuses villes veulent rendre l’espace public plus sûr et agréable à vivre pour la majorité. Pour cela, il faut moins de voitures. Ces pro- cessus sont longs et controversés. L’expé- rience montre qu’après des phases pilotes vivement critiquées, les rues sans voitures subsistent presque partout. Les gens se rendent compte que la vie dans un envi- ronnement plus vert, plus calme et plus sûr est aussi plus agréable — et leurs ha- bitudes suivent. Ces expériences sont dé- cisives, car elles traduisent des objectifs abstraits de durabilité en qualité de vie tangible. C’est ainsi que la transforma- tion peut être vécue et expérimentée, et qu’elle devient politiquement viable.

Le grand objectif

Qu’en résulte-t-il? La transformation n’est pas un sprint, mais une course d’en- durance — avec ses détours, ses temps d’arrêt et ses changements de cap. Ce qui compte, c’est d’avancer, pas à pas. Les échecs font partie du processus. Parfois, les choses s’accélèrent, car le changement social n’est pas linéaire. Il connait parfois des bonds en avant.

Que Donald Trump siège à la Mai- son-Blanche ou non, le chemin reste le même. La construction de l’avenir fait des zigzags. Nous devons toujours garder à l’esprit le grand objectif: agir conformément aux limites planétaires, car c’est la seule façon pour notre so- ciété d’exister sur le long terme. Dans cette optique, continuons à avancer!

L’auteur est responsable des nouveaux modè- les économiques et des questions d’avenir au- près du WWF Suisse.