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Solarzellen auf einem Dach

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Climat et énergie

La batterie de chaleur pourrait révolutionner le solaire et réduire le gaspillage énergétique

Une équipe australienne présente un composé chimique qui accumule deux fois plus de chaleur que les matériaux existants. Le stockage de chaleur pourrait à terme compenser l’intermittence du renouvelable et réduire les pertes d’énergie dans l’industrie.

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  • Une équipe australienne a conçu un stockage de chaleur deux fois plus efficace que les systèmes existants.
  • Cette preuve de concept devra démontrer sa capacité à relever tous les défis techniques et économiques.
  • Le stockage et la récupération de chaleur à basse température offrent des perspectives considérables pour les énergies renouvelables et l’industrie.

«Il nous a fallu plusieurs fois refaire les expériences pour vérifier qu’il ne s’agissait pas d’une erreur»: Karolina Matuszek, de l’Université Monash (Melbourne, Australie), et ses collègues ont été très surpris par la capacité à stocker la chaleur d’un mélange d’acides, borique pour le premier et succinique pour le second – un composé organique qui joue un rôle dans le métabolisme cellulaire.

Ce mélange stocke – à environ 165 °C – une énergie de 394 joules par gramme, environ le double de ce qu’offrent les matériaux industriels dans cette gamme de température – de quoi réchauffer une centaine de grammes d’eau de 1 °C. En outre, le mélange a subi mille cycles de chauffage/refroidissement sans dégradation notable de ses performances, montrent des travaux publiés dans Nature le 18 décembre.

«C’est un résultat original et très intéressant. Gagner un facteur deux par rapport aux stockages existants dans cette gamme de température ouvre des perspectives exceptionnelles», commente Xavier Py, professeur à l’Université de Nantes et spécialiste du stockage de chaleur, qui n’a pas participé à ces recherches. «Mais mes collègues passent un peu vite sur certains aspects de leur travail.» Nous y reviendrons.

Comment une telle prouesse est-elle possible? «Il s’agit d’un système trimodal, qui repose sur les trois processus de stockage de chaleur», justifie Karolina Matuszek. Les dispositifs actuels n’en mobilisent qu’un ou deux.

Sensible, latente ou chimique, les trois facettes de la chaleur

Arrêtons-nous un instant sur ces mécanismes. Le premier, la chaleur «sensible», est celui qui réchauffe un matériau, par exemple l’eau d’un ballon d’eau chaude sanitaire. Le second, la chaleur «latente», mobilise beaucoup plus d’énergie car il correspond à un changement d’état de la matière: on extrait cinq fois plus d’énergie en condensant de la vapeur d’eau à 100 °C en eau liquide à 100 °C, qu’on récupère en refroidissant la même masse d’eau liquide de 100 °C à 0 °C – toujours à l’état liquide.

Enfin, l’énergie thermochimique s’appuie sur un réactif, un sel qui rejette de la chaleur quand on le mouille et en absorbe quand on le déshydrate, avec l’avantage qu’il peut en théorie conserver l’énergie sans perte et sans limites. «Dans notre stockage, la chaleur sensible ne représente que 4% de la capacité mesurée. Nous ne savons pas encore comment se répartit le reste car la fusion et la réaction thermochimique se produisent en même temps, autour de 150 °C», indique Karolina Matuszek.

Son groupe espère à terme compenser l’intermittence de la production électrique solaire et éolienne. Il ne s’agit pas d’utiliser les surplus pour charger des batteries, coûteuses en minéraux comme le lithium, mais d’en tirer de la chaleur et de stocker celle-ci. Pour la phase de chauffage, rien de plus simple, il suffit d’alimenter une simple résistance électrique ou, mieux, une pompe à chaleur. Mais ensuite, comment produire de l’électricité à partir d’un réservoir à relativement basse température, sachant que les centrales thermiques fonctionnent au-delà de 300 °C?

Sadi Carnot (1796-1832), 35 ans, fondateur de la thermodynamique. Photo: Imago

A cette température, les deux tiers de la chaleur sont perdus, et ce serait bien pire à 165 °C… Car la thermodynamique impose sa loi. Au XIXe siècle, le français Sadi Carnot a montré que le rendement maximal – et jamais atteint – d’un cycle thermique, un moteur ou une turbine à vapeur par exemple, ne dépend que de la température de la source chaude et de celle de la source froide.

De l’électricité solaire 24h/24

Pour garantir un bon rendement de conversion, le stockage de chaleur des centrales solaires à concentration – où des milliers de miroirs focalisent le rayonnement sur une chaudière –, porte sur des températures élevées. Ainsi, la centrale Gemasolar installée près de Séville (Espagne) produit de l’électricité 24h/24 quand la météo est favorable: un réservoir de sels de nitrates fondus, à plus de 550 °C, lui confère quinze heures d’autonomie sans soleil.

Gemasolar est la première centrale à échelle commerciale à associer les technologies de récepteurs à tour centrale et de stockage de la chaleur par sels fondus. Photo: Imago

«Pour ce type de centrale, nous développons des matériaux et des systèmes de conversion en électricité travaillant jusqu’à 1000 °C pour maximiser le rendement», souligne Xavier Py. Des recherches qui se font avec de fortes contraintes: il faut trouver des matériaux peu onéreux et dont la production n’a qu’un impact minime en matière d’émission de gaz à effet de serre et d’énergie grise – celle nécessaire à leur production.

«Le mélange de mes collègues affiche une empreinte de 5,5 kg équivalent CO2 par kilo de stockage, regrette Xavier Py. C’est près de 40 fois plus que les sels de nitrates des centrales solaires. Et le coût annoncé – pour le seul matériau, sans compter le réservoir ni l’infrastructure technique – est d’environ 1,7 dollar le kilo, contre 0,8 dollar le kilo pour les sels de nitrates. De plus, un mélange d’acides est corrosif. Pour s’en prémunir, l’expérience a été réalisée dans une petite cuve plaquée or!»

Un choix possible en laboratoire – qui n’a mis en jeu que 10 milligrammes d’acides –, mais impraticable à l’échelle industrielle. Les chercheurs australiens devront aussi démontrer que leur mélange peut capter ou libérer de la chaleur rapidement. Le réservoir le plus concentré n’est guère utile s’il faut des heures pour soutirer son énergie!

«Nous n’en sommes qu’au tout début, reconnaît Karolina Matuszek. Il faut lire nos résultats comme la première preuve d’un nouveau concept. Plus d’équipes s’y pencheront et plus on trouvera des matériaux efficaces, peu onéreux et, on l’espère, capables de travailler à 300 °C. Mais nous pensons possible de produire de l’électricité, même avec des températures peu élevées, en utilisant des batteries de Carnot.»

Baptisé en hommage au physicien français, ce dispositif stocke de l’énergie sous forme de chaleur et la restitue sous forme d’électricité, sans utiliser de lithium ou de terres rares. Ce qui est envisageable, à partir de 100 °C environ, en utilisant des fluides organiques, par exemple les liquides utilisés pour la réfrigération qui s’évaporent autour de 30 °C. C’est ce que l’on appelle un dispositif à cycle organique de Rankine.

La batterie de Carnot, une idée qui se réchauffe

«L’idée est de chauffer le réservoir avec une pompe à chaleur (PAC) qui possède un coefficient de performance élevé», explique Vincent Lemort, spécialiste des batteries de Carnot à l’Université de Liège (Belgique). Par exemple, une PAC air-eau prélève de la chaleur dans l’air extérieur – ce qui le refroidit. Pour chaque kilowattheure d’électricité consommée, la pompe en délivre plusieurs sous forme de chaleur à un système de chauffage, d’autant plus que la température extérieure est douce. Le coefficient de performance est le rapport entre l’énergie récupérée et celle qu’on a payée (l’électricité).

«Même si le rendement de conversion de chaleur en électricité est peu élevé, le gain lié à la pompe à chaleur permet d’envisager des systèmes avec une efficacité globale de 50%», précise le chercheur. De quoi rendre crédibles les recherches du groupe de Karolina Matuszek, s’il parvient à démontrer que son stockage pourra fonctionner, techniquement et économiquement, à une échelle industrielle.

La batterie de Carnot est un sujet qui se réchauffe d’année en année, car elle permettrait de valoriser l’énergie gratuite, pour laquelle le rendement de conversion est moins critique que lorsqu’on paie la facture. L’énergie gratuite? C’est ce qu’on appelle la chaleur fatale, «rejetée dans l’environnement faute de valorisation», explique Vincent Lemort. Il s’agit par exemple des effluents thermiques des usines, des tours de refroidissement, des data centers ou des gaz d’échappement des moteurs thermiques. Le couplage entre une pompe à chaleur et un stockage efficaces, par exemple avec le matériau mis au point en Australie, permettrait de valoriser cette énergie à moindre coût.

Le potentiel est immense: une étude publiée en 2019 a montré que l’UE et la Grande-Bretagne rejettent chaque année 920 térawattheures (TWh) de chaleur dans l’environnement. Une valorisation permettrait de produire – en théorie – 280 TWh d’électricité, calculent les auteurs, cinq fois la consommation électrique annuelle de la Suisse!

Les mines, des réservoirs de chaud et de froid?

Bien évidemment, plus la chaleur disponible est à basse température et plus il faut des réservoirs volumineux pour produire de l’électricité en abondance. Mais, à entendre Vincent Lemort, les idées ne manquent pas. «Nous étudions le principe d’un stockage dans d’anciennes mines, un réservoir presque gratuit. Avec le temps, elles se sont remplies d’eau et il suffit d’un forage pour y accéder. En utilisant des PAC pour capter de la chaleur fatale industrielle, on pourrait stocker du chaud dans certaines galeries, aux alentours de 90 °C. Une autre pompe à chaleur doit permettre de produire et stocker du chaud aux alentours de 45 °C et du froid aux alentours de 10 °C. Au moyen de ces trois réservoirs thermiques exploitant des galeries différentes, il est possible d’assurer les besoins en chaleur et en froid de bâtiments en surface, mais aussi d’alimenter un générateur à cycle organique de Rankine permettant in fine de produire de l’électricité.»

L’Université de Liège participe à la construction d’un démonstrateur dans le sud de la Belgique, à Martelange, qui s’appuiera sur une ancienne carrière souterraine d’extraction d’ardoise. Alimentées par l’électricité de panneaux solaires, les pompes à chaleur rechargeront les réservoirs chauds en été, dont l’énergie fournira chauffage et électricité en hiver.

Denis Delbecq, «Le Temps» (08.01.2025)

Sustainable Switzerland publie ici des contenus de Le Temps.

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