Cela semble paradoxal : la population suisse atteindra bientôt 9 millions d'habitants, mais nous n'avons toujours pas assez de monde ?
«Oui, car ce sont les actifs qui sont importants pour notre prospérité et le financement de la prévoyance vieillesse, et leur nombre diminue depuis 2020, à moins que nous ne compensions par l'immigration. En 2029, le nombre de personnes arrivant à l'âge de la retraite dépassera de plus de 30 000 personnes celui des jeunes qui les remplaceront. D'ici 2040, ce chiffre atteindra environ 430 000 personnes au total. Cette projection ne donne toutefois aucune indication sur le nombre de personnes qui manqueront réellement sur le marché du travail, sachant que l’ampleur de la pénurie de main d’œuvre est également influencée par l'évolution économique. Le nombre de personnes en âge de travailler et qui travaillent effectivement joue également un rôle. De plus, il sera décisif de savoir si nous resterons attractifs pour les travailleurs étrangers.»
L'immigration est un sujet très controversé. Tout récemment, une nouvelle initiative a été lancée pour la freiner.
«Sans immigration, nous ne pourrons pas résoudre notre problème démographique. Il n'est pas possible de créer notre forte valeur ajoutée uniquement avec de la main-d'œuvre indigène. Les entreprises sont tributaires de l'arrivée d'étrangers qualifiés. Nous devrions surtout maintenir la libre circulation des personnes avec les pays de l'UE/AELE. Quatre personnes sur cinq arrivant en Suisse par ce biais exercent une activité professionnelle. Leur taux d'activité est même légèrement supérieur à celui des autochtones.»
Les pays voisins sont confrontés au même défi démographique que la Suisse. Miser sur la seule carte de l'immigration est-il suffisant ?
«Absolument pas. Nous devons également mieux exploiter le potentiel de main-d'œuvre nationale. Je pense par exemple à des conditions-cadres qui rendraient plus attractif le fait d’augmenter son temps de travail, pour les femmes et pour les hommes. Ou à des incitations pour les travailleurs âgés à rester plus longtemps actifs. Aujourd'hui, il n'est financièrement pas intéressant de travailler au-delà de la retraite. L'augmentation de la productivité de notre économie est également importante : plus la productivité augmentera, moins les conséquences du changement démographique seront radicales.»
Cela signifie-t-il que nous devrons tous travailler encore plus dur ?
«Non, l'être humain a des ressources limitées. Mais si la productivité d'une enseignante ou d'un infirmier ne peut pas être augmentée à volonté, cela est tout à fait possible pour les machines, les équipements de technologie médicale, les services financiers, les montres, les médicaments ou les véhicules. Et dans ce domaine, l'économie suisse est forte et compétitive au niveau international. Mais elle a besoin pour cela de conditions-cadres optimales, par exemple des investissements élevés dans la formation et une recherche compétitive, ainsi que l'accès à des programmes internationaux comme « Horizon Europe ». Mais la densité réglementaire influence également la productivité. Notre ambition doit être que les réglementations étatiques soient moins nombreuses, plus légères et plus pragmatiques que dans d'autres pays.»
Au-delà de la mise en place de ces conditions-cadres, quelle peut être la contribution de l'État ?
«Ces dernières années, la Confédération et les cantons ont embauché du personnel à tours de bras. Le fait que l'évolution de l'emploi soit plus forte au sein de l'État que dans le secteur privé est un problème, car cette expansion aggrave encore la pénurie de main-d'œuvre. Il est grand temps de mettre un frein à cette multiplication des postes. Le politique doit cesser d’attribuer toujours plus de tâches à l'État, et au contraire réfléchir à ce dont on pourrait éventuellement se passer. En outre, l'État et les entreprises proches de l'État doivent également augmenter leur efficience : nous sommes à la traîne en matière de numérisation, notamment dans le secteur de la santé. Une avancée en la matière permettrait là aussi d'atténuer la pénurie de main d’œuvre.»