Givaudan met en avant une part très élevée d'électricité verte, qui atteint déjà 90% aujourd'hui. Mais cela ne concerne que l'achat d'électricité pour ses propres activités commerciales (scope 1 et 2). Or, la part du lion de vos émissions, 89% tout de même, provient des chaînes d'approvisionnement pour l'achat de matières premières et de marchandises (émissions du scope 3). Cependant, elles n'ont diminué que de 1% l'année dernière, comme on peut le lire dans votre rapport sur la durabilité. Comment comptez-vous devenir positif pour le climat d'ici 2050 en ce qui concerne le scope 3?
Nous avons fait des progrès dans plusieurs domaines, par exemple dans la part d'électricité verte, mais aussi en matière d'émissions Scope 3. Une baisse de 1% constitue une performance remarquable si l'on considère que, sur la même période, notre entreprise a connu une croissance considérable en termes de volumes vendus – et donc de consommation de matières premières. Nous avons commencé avec succès à dissocier émissions de l'entreprise et croissance. Cet objectif est atteint plus rapidement pour des facteurs d'émission qui relèvent du contrôle de Givaudan (comme les scopes 1 et 2), que pour les émissions indirectes (scope 3).
Et ensuite?
Afin de devenir positif pour le climat dans tous les domaines, nous avons défini les mesures suivantes: en premier lieu, réduire la consommation d'énergie partout où cela est possible. Ensuite, poursuivre la modernisation des sources d'énergie utilisées dans nos usines afin d'atteindre 100% d'électricité renouvelable d'ici 2025, ce qui ouvre la voie à une réduction de 70% des émissions (en chiffres absolus) d'ici 2030. Ce sera possible par un passage progressif des sources d'énergie fossiles aux combustibles non fossiles – par exemple en remplaçant le gaz naturel par du biogaz là où c’est possible et judicieux.
Et qu'en est-il du scope 3?
Pour tous les secteurs, le scope 3 est le sujet le plus complexe en matière d'émissions de carbone. Il nécessite une compréhension approfondie de la chaîne d'approvisionnement et des facteurs d'émission, qui diffèrent sensiblement selon qu’on achète des matières premières naturelles ou des emballages fabriqués industriellement. Nous sommes persuadés d'être sur la bonne voie pour réduire le scope 3 de 20% d'ici 2030. Nous utilisons les innovations et les partenariats avec nos fournisseurs, nous encourageons l'économie circulaire et le recyclage lors de l'approvisionnement en matières premières et nous optimisons les emballages, le transport des marchandises et les voyages d'affaires. Il existe de nombreuses innovations qui permettront de réduire rapidement le scope 3 au fur et à mesure de nos progrès.
Nous étudions également les solutions climatiques naturelles et les technologies de capture du carbone qui seront nécessaires dans une dizaine d'années pour neutraliser et compenser les émissions restantes à l'approche de 2050. Nous avons commencé notre Climate Journey il y a plus d'une décennie, sur le chemin de la Conférence de Paris sur le climat 2015 (COP 21) et de l'Accord de Paris, et nous avons amélioré notre approche au fil des ans avec l'aide de nos experts mondiaux. Cela nous permet d'être très transparents et clairs sur la manière dont nous pouvons atteindre un bilan climatique positif.
La mise en œuvre de votre stratégie climatique risque d'être très complexe dans un groupe comme Givaudan. Comment parvenez-vous à mettre en œuvre cette stratégie?
La durabilité est au cœur de nos activités et notre approche du sujet est bien établie. Le Conseil d'administration définit notre stratégie globale et supervise notre stratégie de développement durable. Notre direction générale est responsable de la mise en œuvre de la stratégie globale, et les questions liées au développement durable font partie des réunions régulières de notre comité exécutif. A chacun de nos objectifs, y compris notre objectif climatique, est associé un membre particulier de la direction du groupe. La gestion quotidienne de notre parcours climatique est guidée par des politiques internes, telles que nos politiques de fonctionnement et d'approvisionnement durables.
Notre équipe de direction pour le développement durable, composée d'experts par thème, aide l'ensemble de l'entreprise à atteindre ses objectifs. Nous suivons de près nos progrès et en rendons compte, par exemple, par notre rapport GRI sur le développement durable et notre feuille de route sur le climat, que nous publions dans ce rapport.
Dans quelle mesure les objectifs climatiques fondés sur la science vous y aident-ils?
Des objectifs scientifiquement fondés sont une partie importante de notre projet. Ils nous offrent un cadre indépendant, qui nous permet de contrôler et d'évaluer nos progrès en externe. Il est important pour nous que nos objectifs soient à la hauteur de cette ambition et répondent directement aux conclusions du Groupe d’experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC).
Quels sont, selon vous, les principaux défis auxquels Givaudan est confrontée et qui la distinguent peut-être des autres entreprises?
La plupart des entreprises du monde entier n'en sont qu'au début de leur «climate journey» ou ne l'ont pas encore entamé, principalement parce qu'il n'existe pas d'incitations ou de moyens clairs pour forcer une action collective. C'est un véritable défi. C'est pourquoi il est si important d'impliquer les fournisseurs. Les coopérations, comme par exemple notre adhésion au programme de la chaîne d'approvisionnement du CDP, sont également essentielles. Entreprise active dans le monde entier, nous avons une approche audacieuse et globale, qui prend en compte toutes les dimensions de la durabilité, de l'approvisionnement responsable à l'économie circulaire en passant par le climat. Cela signifie que nous faisons vraiment la différence, ce qui nous distingue positivement des autres entreprises grâce à notre esprit pionnier.
La décarbonation signifie l'électrification: qu'attendez-vous de la politique en matière de réglementation pour que les objectifs climatiques puissent être atteints, et pas seulement par votre entreprise?
La décarbonation signifie certes l'électrification, mais elle est la conséquence de la modernisation! C'est comme conduire une voiture électrique: on n'a pas l'impression de conduire une voiture futuriste, mais on a le sentiment de faire partie d'une «nouvelle norme». La réalisation des objectifs climatiques nécessite une harmonisation entre les pays et des incitations pour promouvoir la modernisation des sources d'énergie. Les décideurs politiques doivent contribuer à rendre le sujet compréhensible, pragmatique et désirable, pour mettre fin à l'inertie et à la confusion qui tiennent à sa complexité.
Quels sont, selon vous, les arguments en faveur de la loi fédérale prévue sur la protection du climat?
La loi sur la protection du climat met en place les bonnes incitations: elle soutient les efforts des entreprises et des citoyens qui s'engagent, sans pour autant glisser sur un terrain dogmatique et éloigné de la pratique. L'extension imminente du cadre
législatif et sa couverture médiatique vont avoir une grande portée, et j'espère que davantage de personnes et d'entreprises se joindront au mouvement pour le développement durable par un travail commun en vue d’un avenir moderne et propre pour nous tous.