Pour les trois rencontres étalées entre 2022 et 2023, la liste des participants comprend Philip Morris International, Japan Tobacco International, British American Tobacco, Swiss Cigarette, et la Communauté du commerce suisse en tabacs. Les collectivités publiques comptent moins de représentants: le demi-canton de Bâle-Ville, l’Association suisse infrastructures communales et la ville de Zurich. L’Union suisse des paysans se joint au groupe, ainsi que la Communauté d’intérêts pour un monde propre (IGSU). Cette dernière est soutenue par deux organisations de recyclage, créées elles-mêmes entre autres par l’industrie des boissons ou le commerce de détail.
«Unilatéral»
Les associations plus critiques ne figurent pas parmi les invités. Présidente de Pro Natura, l’ancienne conseillère nationale socialiste Ursula Schneider Schüttel remarque [qu'«ils n’ont] pas été approchés, sinon [ils auraient] certainement participé à ces tables rondes», le problème des déchets étant «aigu». «La composition des tables rondes me paraît unilatérale. Car la problématique des déchets touche à divers aspects et nécessite d’échanger des informations, par exemple sur l’impact des mégots non biodégradable sur les cours d’eau. D’autres milieux comme les nôtres peuvent apporter leurs connaissances et expériences.»
L’Office fédéral de l’environnement n’a pas non plus contacté l’Association suisse pour la prévention du tabagisme (AT Suisse), dont le directeur, Luciano Ruggia, se montre très négatif. «Je crains que les tables rondes n’amènent aucune solution car ces entreprises n’ont aucun intérêt à en trouver. Avec certaines industries, on peut atteindre des résultats. L’industrie automobile, par exemple, a collaboré pour produire des véhicules moins polluants. Mais les fabricants de produits du tabac ont toujours menti et n’ont jamais rien fait pour réduire leur impact sur la santé et sur l’environnement. Ce n’est pas une industrie comme les autres.»
Mis en cause, l’Office fédéral de l’environnement défend ses procédés. «La table ronde sur les déchets sauvages vise à ce que l’économie mette en œuvre volontairement des mesures concrètes comme prévu par la loi sur la protection de l’environnement. Cela signifie – entre autres – que ces mesures seront entièrement financées par l’économie privée. Afin d’encourager le dialogue avec l’économie privée, il a donc été décidé – dans un premier temps – d’organiser ces réunions» avec ses représentants. «Lorsque l’économie privée aura défini des mesures, la pertinence d’élargir le dialogue auprès des ONG sera évaluée.»
La tactique procure-t-elle des résultats concrets? De facto, aucune mesure n’a vu le jour. Les milieux critiques fulminent. Luciano Ruggia reproche à l’OFEV d’avoir «jeté beaucoup d’argent du contribuable». Non seulement en raison de l’absence d’avancée concrète, mais aussi parce que l’office fédéral a mandaté jusqu’à fin 2023 une agence externe, Ecoplan, pour assurer l’organisation des tables rondes. Une somme de quelque 112 000 francs a ainsi été mise à disposition, selon un contrat signé en décembre 2021.
L’OFEV voit les choses autrement. «La table ronde sur les déchets sauvages provoqués par les produits du tabac a permis d’avoir un échange ouvert et direct avec la branche et a donc déjà remporté un premier succès: les représentants de l’industrie du tabac non seulement s’occupent de la question des déchets sauvages, mais s’engagent aussi pour lutter ensemble contre ce problème.»
«L’industrie du tabac communiquera les résultats»
Comment l’industrie du tabac «s’occupe»-t-elle de la question? «Lors de ces rencontres, elle a proposé des mesures concrètes qui visent à réduire les déchets sauvages provoqués par les produits du tabac.» Mais rien n’est entré en vigueur. «Les discussions sur ces mesures sont encore en cours. L’industrie du tabac communiquera les résultats le moment venu.»
Organisation faîtière des fabricants, Swiss Cigarette assure que ses membres sont «conscients de la problématique du littering», et qu’ils intensifient «continuellement leurs mesures, pour encourager les fumeurs à ne pas jeter leurs mégots dans l’espace public, à les éliminer de manière responsable et correctement». Pour cela, «Swiss Cigarette mise sur un travail d’explication et la responsabilité individuelle des fumeurs, à compléter par des campagnes de sensibilisation et la distribution gratuite de cendriers de poche. Elle a lancé et financé une campagne à cet effet (Lara Green).»
Swiss Cigarette ne veut rien savoir d’une interdiction pure et simple des filtres de cigarettes, générateurs d’ordures jonchant les rues et la nature. «Il devrait être interdit de jeter des déchets, filtres de cigarettes y compris (avec ou sans plastique).» Mais une interdiction des filtres de cigarettes «ne résoudra pas le problème», affirme la faîtière. Il faut plutôt «des mesures de sensibilisation ciblées ou inciter les consommateurs à éliminer leurs mégots de façon responsable (par exemple avec des amendes)».