C'est d'abord le revenu qui détermine les émissions
L'empreinte carbone augmente avec le revenue
Empreinte carbone médiane* des Suisses selon différents groupes de revenu**
La zone hachurée montre l'intervalle de confiance 90%
* La médiane est la valeur qui divise la population en deux groupes de même taille, la moitié a une empreinte plus petite et l'autre moitié génère davantage d'émissions.
** Revenu mensuel net du ménage
Premier enseignement issu de cette enquête – peut-être pas le plus surprenant: c’est principalement le niveau des revenus qui influence la quantité d’émissions de CO2 émise par les résidents suisses. «Ce sont les personnes les plus fortunées qui ont l’impact carbone le plus élevé, d’abord en raison de leur forte mobilité, et plus particulièrement de leurs fréquents déplacements par avion», souligne Sarah Gomm.
L’autre critère qui pèse dans la balance est le logement: plus les personnes sont riches, plus elles occupent de vastes surfaces, qui consomment beaucoup d’énergie, mais aussi de grandes quantités de matériaux et d’équipements. L’enquête montre que le niveau de formation des participants est également lié à leur niveau d’émissions de CO2. «Ce qui n’est pas surprenant car, de manière générale, plus le niveau de formation augmente, plus les revenus progressent», explique Sarah Gomm.
Les plus éduqués émettent davantage de gaz à effet de serre
Empreinte carbone médiane des Suisses selon le niveau de formation
La zone hachurée montre l'intervalle de confiance 90%
D’autres résultats contreviennent en revanche à certains préjugés. D’abord, les jeunes, qu’on imagine volontiers sensibles à la préservation du climat, n’émettent pas moins de gaz à effet de serre que leurs aînés, bien au contraire. «D’après nos données, les personnes âgées ont de plus faibles émissions, parce qu’elles se déplacent moins et ont des habitudes de consommation plus parcimonieuses», relève la chercheuse.
Les seniors ont une empreinte plus faible que les jeunes
Empreinte carbone médiane des Suisses selon différents groupes d'âge.
La zone hachurée montre l'intervalle de confiance 90%
Le degré de conscience environnementale n’est que faiblement corrélé à l’âge en Suisse. En revanche, le genre a bel et bien une influence, puisque les femmes émettent généralement moins de CO2 que les hommes, si l’on en croit les données nouvellement publiées. «L’effet du genre sur l’empreinte carbone est toutefois beaucoup moins marqué que celui du niveau de revenus», précise Sarah Gomm.
Autre surprise issue de l’analyse: le lieu de résidence n’a pas d’impact sur les émissions de CO2. Autrement dit, que vous viviez en zone rurale ou en ville, cela ne change rien. «Un préjugé courant veut que les ruraux émettent davantage de gaz à effet de serre que les citadins. Mais cela n’est pas confirmé par les chiffres», affirme Thomas Bernauer, professeur de sciences politiques à l’EPFZ, qui a coordonné l’étude.
Si les personnes qui résident hors des agglomérations ont logiquement un recours accru à la voiture pour leurs déplacements, elles empruntent plutôt moins l’avion que celles qui vivent en ville, si bien que leur impact carbone global est légèrement plus faible. Exit donc l’image d’Epinal des citadins à vélo qui font tout juste pour le climat, alors que les ruraux motorisés seraient à la traîne dans la protection de l’environnement.
Les citadins n'ont pas une empreinte plus basse
Empreinte carbone médiane des Suisses selon la typologie urbain-rural du lieu de résidence
La zone hachurée montre l'intervalle de confiance 90%
Pas de lien entre l’idéologie politique et les émissions
Dernière découverte détonante de ce sondage: l’appartenance politique n’a aucun impact sur le niveau d’émissions de gaz à effet de serre des participants. Que ceux-ci se soient déclarés proches des idées de l’UDC, d’un parti écologiste ou de n’importe quel autre parti, cela n’a aucune influence sur leur production personnelle de gaz à effet de serre!
«Cette absence de lien nous a surpris, concède Thomas Bernauer. Cela suggère l’existence d’une dissonance cognitive chez certaines personnes, qui adhèrent théoriquement à l’idée de protéger le climat, sans parvenir à mettre en pratique les changements de mode de vie nécessaires.» Le chercheur ajoute que de nombreuses personnes n’évaluent pas correctement leur propre empreinte carbone, certaines la sous-estimant quand d’autres la surestiment.
D’après Thomas Bernauer, l’absence de lien entre l’idéologie politique et les émissions de CO2 n’est pas négative: au contraire, elle devrait – théoriquement – faciliter l’échange de points de vue sur le sujet. Autre aspect encourageant de sa recherche: le degré de conscience des problèmes environnementaux a bien un impact sur l’empreinte carbone individuelle. «Les émissions de CO2 augmentent moins vite avec le revenu chez les personnes sensibilisées aux risques du dérèglement climatique», relate le politologue.
A revenu équivalent, les «éco-conscients» émettent moins que les personnes peu soucieuses de l'environnement
Empreinte carbone médiane des Suisses selon 10 catégories de revenus* et la conscience environnementale, faible ou élevée. Les halos montrent l'intervalle de confiance 90%
Ce dernier espère que ses recherches seront utilisées pour informer les responsables des politiques climatiques. «En Suisse comme dans de nombreux autres pays, on voit monter la crainte – politiquement instrumentalisée – que les classes populaires soient appauvries par les mesures de lutte contre le réchauffement. Pourtant, d’après nos données, ce sont les personnes aisées qui émettent le plus de CO2. Ce sont donc elles qui devraient être les plus affectées par les mesures de protection du climat», souligne Thomas Bernauer.
Reste à concevoir ces mesures de sorte qu’elles soient à la fois efficaces et équitables, ce que l’expert juge possible. Il salue ainsi le fait que la loi sur le climat et l’innovation, acceptée par le peuple l’an passé, fasse la part belle aux subventions, permettant d’accélérer la transition énergétique en épargnant les plus démunis.
Mais est-ce suffisant? «Un renchérissement de la mobilité, et en particulier des déplacements aériens, permettrait de réduire les émissions plus rapidement, et aurait surtout un impact sur les personnes aisées», souligne le chercheur. Qui déplore l’abandon de toute forme de taxe sur le CO2 en Suisse, à la suite du rejet dans les urnes en 2021 de la loi sur le CO2, qui reposait en partie sur de tels mécanismes.